Weekers joue et gagne L'ordonnance du tribunal de commerce suit le P-DG de Canal+ Belgique

Article issu de Lesoir.be le 31/03/2001.

 

La gifle. Sèche et juridique. En recevant vendredi matin l'ordonnance rendue par Francine De Tandt, vice-présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, les représentants du groupe Canal+ (son directeur général Denis Olivennes, son vice-président Marc-André Feffer, sa directrice en charge des programmes Bibiane Godfroid) ont été sonnés. L'ordonnance suivait les arguments des plaignants, Daniel Weekers (président de Canal+ Belgique) et Philippe Lhomme (administrateur) qui, le 23 mars dernier, avaient intenté une action en référé. («Le Soir» des 27 et 29 mars).

K.-O., les représentants du groupe français, venus à Bruxelles en début de journée, ont repris le Thalys en fin d'après-midi. Avec la ferme intention d'interjeter appel. A moins qu'entre-temps les esprits ne s'apaisent et que les adversaires d'aujourd'hui ne se remettent autour de la table pour dégager un accord au sein de la filiale belge, une des rares filiales rentables au sein du groupe français fortement endetté.

Le texte de l'ordonnance (21 pages) ne prête pas à interprétation. Oui, l'action en référé introduite par Daniel Weekers et Philippe Lhomme, le 23mars, est bel et bien fondée. Si fondée même que s'envolent, par la grâce de l'ordonnance, les décisions prises depuis janvier dernier par le groupe présidé par Pierre Lescure, devenu actionnaire à 100% de la filiale belge depuis le début de l'année 2000. Passage en revue des attendus de l'ordonnance et de leurs conséquences.

*Les suspensions. Le tribunal de commerce a donc suspendu les délibérations du conseil d'administration du 14 mars. Et, dans la foulée, la réalisation de l'audit par les équipes françaises. Sont aussi passées à la trappe l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui était convoquée vendredi après-midi (laquelle devait révoquer les administrateurs de la filiale belge) ainsi que le conseil d'administration qui devait suivre.

En d'autres termes, Daniel Weekers est toujours P-DG de Canal+ Belgique tandis que Philippe Lhomme est toujours administrateur. Et, bien entendu, les projets de l'actionnaire à 100% sont remis à plus tard: vendredi, Bibiane Godfroid n'est pas devenue présidente du conseil d'administration de Canal+ Belgique et Christian Kozar, directeur général de Canal+ Pologne, n'a pas été désigné comme administrateur de la filiale belge, ni son administrateur délégué.

*L'administrateur provisoire. L'ordonnance a désigné un mandataire (administrateur provisoire) jusqu'au 31 mai. Il s'agit de Daniel Tondreau, avocat au Barreau de Bruxelles. Son rôle durant ces deux prochains mois? Entendre les administrateurs de Canal+ Belgique, les cadres de l'entreprise et, éventuellement, les membres du personnel. Bref, dresser un état des lieux pour cerner, le plus objectivement possible, la situation dans l'entreprise belge et examiner les «vrais» motifs de révocation de Daniel Weekers et de Philippe Lhomme.

 

Où est donc ce prétendu conflit d'intérêt moral ?

Par ailleurs, si l'administeur provisoire estime nécessaire de procéder à un audit financier, il demandera assistance à Jean-François Cats, réviseur d'entreprises, en lui fixant les limites et objectifs de sa mission. Enfin, M. Tondreau, qui devra rédiger un rapport pour le tribunal de commerce, veillera, avant le 31 mai, à convoquer un conseil d'administration et éventuellement une assemblée générale de Canal+ Belgique.

*La muraille de Chine. L'ordonnance insiste sur le lien de cause à effet, mis en évidence par le groupe Canal, entre le différend polonais (voir rétroactes) et la révocation des deux administrateurs Lhomme et Weekers. Ce serait un «prétendu conflit d'intérêt moral». Or, pour le tribunal, il n'y a pas de raison de lier le rôle de Deficom au sein de la filiale polonaise au rôle des deux administrateurs au sein de Canal+ Belgique. Et ce, d'autant plus, dit la vice-présidente, que la décision de proposer la révocation de certains administrateurs n'est pas sans influence sur le bon fonctionnement de la société , qui connaît depuis quelques mois un climat tendu.

*L'intérêt social de la société. MmeDe Tandt ne tergiverse pas. Un certain nombre de décisions ont été prises ou sont sur le point de l'être, et menacent l'intérêt social de Canal+ Belgique. Et le texte d'insister sur la volonté du tandem Lhomme - Weekers de ne pas bloquer le fonctionnement des organes de la société (la preuve par les bons résultats de ces dernières années) et d'éviter la survenance d'un préjudice irréparable causé à la société.

A telle enseigne d'ailleurs que, vendredi, dans leur communiqué, Weekers et Lhomme affirmaient vouloir entreprendre toutes démarches en vue de rapprocher les points de vue, dans l'intérêt social de Canal+ Belgique.

 

Rétroactes Le déclic : la Pologne

Juillet 97. Déficom et Canal+ France, tous deux actionnaires de Canal+ Belgique, concluent des accords croisés d'option de vente (put) et d'option d'achat (call) portant sur la totalité de la participation de Deficom dans Canal+ Pologne.

Octobre 2000. Les négociations débutent entre Belges et Français en vue de la cession à ces derniers de la participation dans Polish Pay TV. En principe, il suffisait d'appliquer l'accord de 97.

Décembre 2000. Les négociations s'étirent, mais les parties aboutissent: Deficom recevra plus 120 millions d'euros.

Début janvier 2001. L'accord devait être signé le 2 janvier, il ne l'est pas. Devenu entretemps filiale à 100 % de Vivendi Universal, le groupe Canal remet l'accord en cause. C'est la rupture. Déficom annonce son intention de lancer une procédure d'arbitrage internationale. Il le fera le 19 mars. Riposte? Les 8, 9 et 10 janvier, le groupe Canal+ lance un audit portant sur les achats de Canal+ Belgique. Un audit musclé mené par le directeur des services généraux, Gilles Kaehlin - ancien inspecteur de police. En février, d'autres auditeurs défilent.

Le 14 mars. Deux conseils d'administration de Canal+ Belgique sont convoqués, le premier par le président Daniel Weekers et un autre par deux administrateurs français. Ordre du jour du second: la démission collective des administrateurs.

Le 23 mars. Daniel Weekers et Philippe Lhomme lancent une action en référé.

Le 30 mars. Le tribunal de commerce de Bruxelles rend son ordonnance, suspendant non seulement la poursuite de l'audit initié par le groupe, mais aussi l'assemblée générale visant la révocation de Lhomme et Weekers. Le groupe Canal annonce qu'il ira en appel.